Et si je commençais à savoir quoi voter au referendum ? (11)

Où la Sainte Parole de Benoit XVI déplace insensiblement notre explorateur
jeudi 21 avril 2005.
 

Depuis le début de cet appel au secours, je ne bougeais pas. Ou plutôt, je bougeais comme un pendule. Un coup oui, un coup non. Un coup de Burt Allibert, je partais vers le oui. Un coup d’Etienne Chouard, je repartais vers le non. (A propos, ceci est un message personnel pour un certain Bernard Ruffier, qui se présente comme "délégué du Parti Socialiste aux institutions". Bernard, vous avez un joli titre. Je ne sais pas vraiment à quoi il correspond, je ne sais pas si vous existez vraiment, mais j’ai bien reçu votre texte réfutant Etienne Chouard. Je ne l’ai pas validé, car nous ne validons que des contributions personnalisées au débat, écrites spécialement pour nous. Pas des lettres-type, qu’on peut lire ailleurs. Désolé Bernard. Fin du message personnel).

Donc je ne bougeais pas. Et tout d’un coup, j’ai eu un déclic. C’était jeudi matin, le 21 avril, au surlendemain de l’élection du pape Ratzinger.

J’attendais un rendez-vous en lisant Le Figaro. Et j’apprends dans Le Figaro que Ratzinger s’est élevé contre la Constitution Européenne, qui installait le relativisme. C’est à dire, selon Le Figaro citant Ratzinger, un nouveau « dogmatisme » qui, croyant tenir « la connaissance définitive de la raison », relativise tout le reste comme « un état dépassé de l’humanité ».

Moi j’aime bien le relativisme. Je suis un garçon assez relativiste. Enfin, je ne crois pas en avoir la même définition que Ratzinger, je ne crois pas détenir "la connaissance définitive de la raison", mais le mot me plait bien. J’aime l’idée que toute vérité soit relative. Et je me dis que si la Constitution est assez relativiste pour être l’objet de la vindicte de Ratzinger, alors cela vaut peut-être la peine de la regarder de plus près sous cet angle-là, cette constitution-là.

Et tout d’un coup, là, en attendant mon rendez-vous, je sens que trois lignes du Figaro me font bouger. Vers le Oui. Davantage qu’un mois de débats sur les alinéas et les points virgules. Désolé Burt et Etienne, celà ne retire évidemment rien à la qualité de vos échanges, mais là, en attendant mon rendez-vous (un bon quart d’heure de retard) j’ai l’impression qu’on change de dimension.

Je m’explique. Je ne pense pas que Benoit XVI soit le principal danger d’aujourd’hui. Si j’interroge mon entourage (plus divers que vous ne l’imaginez), je ne connais personne qui se sente impliqué par les opinions de Benoit XVI. Personne ne me dit : "je vais me comporter de telle manière, arrêter de faire celà, parce que Benoit a dit que..." Mais je pense que la montée des intégrismes est, oui, un de ces principaux dangers. Integrisme de Ben Laden, intégrisme des colons israéliens bornés, intégrisme des "born again" de Bush, intégrisme de Ratzinger. Je n’aime pas le monde balisé par tous ceux-là. Ce monde me fait peur pour mes enfants. Je n’ai pas envie qu’ils grandissent dans ce monde-là.

Quant à l’argument, développé par un des biographes du nouveau pape, et repris dans un excellent article du Washington Post où m’a renvoyé l’un d’entre vous, selon lequel le "totalitarisme religieux" serait, aux yeux de Benoit, le meilleur moyen de lutter contre "le totalitarisme politique", il me conforte par sa bêtise dans ma nouvelle inclination. Si la crainte du totalitarisme politique nous pousse vers le totalitarisme religieux, alors on n’aura pas gagné grand chose au change. Je crois plutôt qu’elle devrait nous pousser vers le refus de tous les totalitarismes.

Or il existe une zone du monde qui est relativement préservée de tous ces intégrismes : c’est l’Europe. Je crois que nous ne le mesurons pas assez. Je me souviens qu’un jour, après une émission, Hubert Védrine nous avait raconté ça dans la loge de démaquillage (c’est le problème de Védrine : il est bien meilleur quand les caméras cessent de tourner). Il nous avait dépeint l’Europe occidentale comme une tête d’épingle du rationalisme et de la laïcité, dans une planète travaillée par la fermentation religieuse. C’était impressionnant.

Et voilà que cette Europe se dote d’un projet de Constitution, qui garantit ce relativisme. Oui, il le garantit. Il suffit de reprendre les remarques de nos camarades randonneurs de La Croix. Vous vous souvenez d’eux ? On cheminait avec eux, au début. Nous les avons un peu perdus de vue, c’est vrai. Mais eux, ils ont continué d’inventorier les articles de la Constitution, en rapport avec leurs centres d’intérêt. Et alors ? Globalement, ils ne sont pas exubérants. Ni pour ni contre. Ils savent bien qu’ils ont dans leur lectorat des Benoitistes et des anti Benoitistes. Mais tout de même, cette relecture est l’occasion de se souvenir que Giscard a tenu bon, dans son refus de rappeler "les origines chrétiennes de l’Europe". Et que par exemple l’article II-69 sur "le droit de se marier et de fonder une famille", parce qu’il ne mentionne pas explicitement "l’homme et la femme", constitue selon La Croix "la porte ouverte au mariage homosexuel". Ce n’est qu’un exemple.

Peut-on laisser passer l’occasion ?

Je ne sais pas comment vous dire. Vu sous cet angle-là, le reste me parait un peu dérisoire. Tout le reste. Tout ce dont nous discutons ici depuis le début. Le nombre de pages de la constitution. La répartition exacte des pouvoirs entre le Parlement et la Commission. Le fait de savoir si les progrès des deux premières parties mesurent un millimètre, ou un demi-millimètre. Les querelles théologiques sur la troisième partie qui serait "gravée dans le marbre". Oui, l’Etat français n’aura plus le droit, par exemple, de garantir les emprunts d’EDF. Il n’avait déjà pas le droit, et par exemple La Croix nous rappelait que la Commission le lui avait interdit l’an dernier. Là, ce sera "gravé dans le marbre". Et alors ? Evidemment, tout celà est intéressant. D’ailleurs, avec Judith, on se disait que ce serait un beau thème pour Arrêt sur images. Vous ne connaissez pas Judith ? Vous allez la connaître bientôt. Elle va nous rejoindre, avec David, sur le BBB. Le temps que Thomas, notre webmaster, lui prépare sa chambre, et elle sera là.

Et il y a aussi le reste du reste. L’envie de dire merde à Chirac, par exemple. Bien sûr, comme tous les noniens, enfin disons une partie des noniens, j’ai envie de dire merde à Chirac. Et à Raffarin. Et à cette grande andouille de Villepin qui n’a jamais fait la preuve de rien, n’a jamais été élu par aucun électeur, et qui fait sa grève de la faim place Beauvau avec une pancarte "c’est moi que je veux être premier ministre", et tout le monde trouve ça naturel. Oui, j’ai envie de dire merde à Chirac. Voilà, je le dis (écoutez bien) : merde à Chirac ! Et à François Hollande aussi, si vous voulez. Bon. C’est fait. On peut passer à autre chose ?

Donc bien sûr, l’ultra-ouisme des medias, l’arrogance des ouistes, leur aveuglement, leurs manipulations jusqu’à l’heure où j’écris ces lignes, continuent de me donner follement envie de voter non. Mais face à ce Benoit qui veut reconquérir l’Europe, puisqu’on en est là (il parait que c’est la signification du nom de Benoit. Le Monsieur veut "reconquérir l’Europe". Rien que ça), face à ses alliés objectifs Bush et Ben Laden, il me semble qu’un vote Oui serait une bonne manière de lui dire : "touche pas à mon Europe, Benoit. Touche pas à notre Europe". Oui, la Constitution est un rempart contre les grosses pattes de Benoit. Pour être franc, je ne crois pas qu’elles soient très dangereuses, les grosses pattes de Benoit. Elles paraissent même un peu fatiguées. Je ne crois pas qu’il faille sur-interpréter son élection. D’ailleurs ça ne vous parait pas bizarre, ce type élu par des gens qu’il a lui-même nommés ? Comme me le disait mon rendez-vous de ce matin, qui travaille à la télé (oui, il a tout de même fini par arriver), c’est comme si Marc Tessier, président de France télévisions, nommait un par un tous les membres du CSA, et qu’on leur demande ensuite de voter pour savoir s’ils reconduisent Marc Tessier. Ca m’est apparu une bonne image (j’ai bien fait de l’attendre, finalement).

Tout de même, on ne sait jamais. Et en tout cas, j’ai l’impression que l’adoption de la Constitution serait un sacré pied de nez à Benoit.

A un peu plus d’un mois du vote, j’en suis là. Pour préciser ma pensée, je me verrais bien glisser un bulletin "oui" dans l’urne, en portant un brassard : "logiquement, je suis plutôt pour le non". Un peu à la manière des grévistes japonais, qui vont tout de même travailler avec un brassard "en grève". Si j’ai tout faux, si vous voyez des contre-arguments, donnez-les moi.


Répondre à cet article

Forum

Vous consultez une archive, retrouvez l'actualité ici : Etienne Chouard - Plan C